Shouteries opiumées permanentes : deuxième itération

Publié le par lamain

    Vous souvenez-vous d'Estragan, ce client un peu pâle, souvent incertain, et toujours sous l'emprise d'une force ténébreuse ? Ce matin, à l'ouverture du Dragon Inn, il soupirait devant la porte. Il semblait en proie à l'une de ses crises créatrices, car sitôt entré, il commanda un bourbon et courut s'enfermer aux sanitaires. Il en ressortit plus léger que jamais, et sirota distraitement sa pinte. D'autres clients, arrivée entre-temps, et moi-même, ne le lâchions pas des yeux, dans l'expectative de sa folle imagination. Rien ne venait.


    Quelques clients désabusés payèrent et partirent. Les autres se désintéressèrent du poète maudit pour se préoccuper du contenu de leur verre. Estragan, peut-être soulagé de la baisse d'intérêt – mais l'avait-il remarqué ? –, se leva et tituba jusqu'au comptoir. De sa bouche, les faibles paroles que je devinai concernaient la plume et l'encre qu'il n'avait pas. Celles qui me servaient à faire les comptes, après la fermeture, traînaient dans un coin. Je lui tendis la plume et la bulle de verre renfermant le liquide de jais. Il les reçut timidement, s'excusant presque de son audace. Retournant à sa place, il manqua plus d'une fois de faire valser son précieux matériel.


    De sa poche sortit un papier chiffonné et déchiré ; de sa main écrivit quelques lignes ondulées. Sa plume glissait avec difficulté, lui tombait des doigts, mais toujours il la remettait en place et continuait son travail. Pendant tout ce temps, le pub semblait s'être arrêté de respirer. L'attention s'était focalisée sur Estragan, et chacun avait oublié sa propre consommation. L'écriture du poète se fit plus rapide, la plume agissant avec plus d'efficacité, voletant sur la feuille. Ce fut dans un élan magistral qu'il inscrivit le point final, du geste d'un chef d'orchestre, éclaboussant au passage le papier et la table.


    Après cet effort surhumain, une onde de fatigue sembla le submerger. Il s'effondra, la tête près de la chope. Lentement je m'avançai, curieux de découvrir son nouveau délire. La feuille résista un peu lorsque je la tirai de dessous son coude. Il s'agissait en fait du verso de ses premières maximes. Celles-ci me semblent d'ailleurs nécessaires à la compréhension de ce nouveau texte, vision extirpée de quelque limbe...



 

    Des désirs chromés extasient l'Infante, et de leurs réseaux moutonnés de parfums, ils cherchent à leurs pieds les conditions prochaines de certains lieux qui ne seront jamais. La quête raisonnée, et non moins raisonnable, ouvre en eux une porte que le soleil étouffe. Ils savent que souvent viendront les moutons bleus qui vivent prestement.

    L'Infante est là, et seule, elle sourit déjà. Ses dents sont un abîme où la mémoire s'oublie. Elle s'avance, oscillante, sa bouche enfle, ses yeux gonflent, sa peau grise éclate et se répand partout. Une aura de lambeaux. De mémoire de félon, on n'avait jamais vu cette reine splendide partir aussi drue.


    Les quêteurs s'arrêtent. Les lévriers violés retournent en pleurant. On voit dans quelque coin éclairé et soumis l'absence du péché, du parjure de la nuit. La Garance coule encore, lente et rapide, calme et violente. Son sang vert l'habite, ses bleus enfants la guident. Et le bois de la barque crevée, verminé, couvre enfin le silence des exhalaisons splendides. Enfin le cri étouffe, enfin la robe luit. Les éperviers seront bientôt vernis et la marche sera une vaine attitude. L'heure vient qui ne sera jamais plus semblable aux canards changeants et aux matins du soir.


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D
Il y a pas à dire, l'écriture automatique, c'est toujours aussi impressionnant. ^^
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